Comment les facteurs émotionnels, les chocs psychiques peuvent-ils avoir un impact sur le système immunitaire ? Quels sont les mécanismes à l’oeuvre ? Autant de questions captivantes fouillées par la psycho-neuro-immunologie (PNI). Son champ d’investigation repose sur la mise en évidence d’interrelations entre les systèmes nerveux central, neuroendocrinien et immunitaire.
Anaxagore, Platon, Descartes...et la traditionnelle philosophie universitaire, séparaient corps et esprit. Les lignes ont heureusement bougé, la dimension psychologique fait partie intégrante, ou presque...des processus de santé.
Le postulat de départ de la PNI est que les facteurs psychologiques influencent le fonctionnement du système nerveux qui, à son tour va affecter le système immunitaire. En d’autres termes des facteurs émotionnels et psychiques pourraient être responsables de pathologies.Psychologie, neuroscience, immunologie, psychiatrie, endocrinologie voire même physiologie, pharmacologie, biologie cellulaire, médecine comportementale, infectiologie et rhumatologie entremêlent leurs connaissances et tissent une vision décomplexée qui met de côté des points de vue strictes et fermés. L’interdisciplinarité de la PNI n’est-elle pas sa force, une ouverture sur de nouvelles pistes thérapeutiques ? Cette vision holistique de l’être humain considère les émotions comme des entités biologiques et physiques. La plupart des maladies étant multifactorielles n’est-il pas impératif de considérer avec attention chacun des facteurs (environnement, vécu, prédisposition, alimentation, hérédité, etc.) ? Si les systèmes nerveux central et autonome, endocrinien et immunitaire, étaient autrefois considérés comme indépendants, les neurosciences ont prouvé que c’est leurs systèmes de communication qui permet de maintenir l’équilibre interne de l’organisme.
Que dit la PNI ?
La psycho-neuro-immunologie étudie l’impact de la psyché sur le système immunitaire et indirectement son impact sur le développement des maladies. Parmi ses centres d’intérêt figurent la relation entre le comportement et la progression des maladies immunologiques, ou l’évaluation du rôle des facteurs immunitaires dans les pathologies du système nerveux central. Les nerfs du cerveau et de la moelle épinière composent le système nerveux central tandis que lesystème immunitaire est composé d’organes et de cellules qui défendent le corps contre l’infection. Les deux systèmes produisent de petites molécules et des protéines qui peuvent agir comme messagers entre les deux systèmes. Dans lesystème nerveux central, ces fameux messagers sont des hormones et des neurotransmetteurs. Le système immunitaire quant à lui utilise des protéines appelées cytokines pour communiquer avec le système nerveux central. Mais alors comment fonctionne la communication entre psychisme, système neuro-endocrinien et système immunitaire ? Les messagers chimiques s’en chargent, ils véhiculent les informations par voie sanguine et/ou nerveuse (signaux de type électrique, neurotransmetteurs, hormones…), ils naviguent, font le lien, établissent des relations mettant en évidence l’influence du psychisme sur le système endocrinien et le système immunitaire. Non la tête n’est pas coupée du reste du corps ! Les médecines traditionnelles (chinoise, ayurvédique…) l’ont de tout temps compris. Le va et vient permanent entre corps et esprit pointe l’importance de l’axe de communication intestin-cerveau via le nerf vague (cf article du journal n°75), de l’alimentation pilier de notre microbiote dont les bactéries dialoguent en permanence avec notre cerveau, de l’hygiène de vie en générale et de limiter au maximum les situations de stress au quotidien. Certainesassociations de médecins et Universités se sont ouverts à la méditation, la visualisation et à d’autres techniques dites « alternatives ou douces » telles que le yoga et le taï-chi qui oeuvrent à une prise en charge globale corps-esprit de la maladie et entrent dans un processus de prévention santé1.
Recherches à l’appui
On sait depuis déjà longtemps que les événements psychiques et les émotions, le stress par exemple, ont un impact sur le système nerveux central et que cela retentit directement au niveau immunitaire. De nombreuses recherches attestent d'une communication bidirectionnelle entre système nerveux et immunitaire, soit directement, soit via une voie de régulation neuroendocrinienne23. Elles portent pour nombre d’entre elles sur la libération de cytokines en réponse au stress physique et psychologique. Une cytokine est une petite molécule constituée à la fois par des glucides et des protéines. Elle est libérée par les cellules, en particulier cellesde votre système immunitaire. Il existe plusieurs types de cytokines, celles qui sont généralement stimulées par le stress sont appelées cytokines pro-inflammatoires. De manière générale, le corps libère des cytokines pro-inflammatoires en réponse à une infection ou une blessure pour aider à détruire les germes ou à la réparation des tissus. En cas de stress aussi bien physique que psychologique le corps libère également certaines hormones telles que l’adrénaline et la noradrénaline. Ces hormones se lient à des récepteurs spécifiques tels que les récepteurs β2-adrénergiques. Une équipe de Recherche de l’Inserm au Centre d'Immunologie de Marseille-Luminy (Inserm/CNRS/Aix-Marseille Université) a entre autre découvert que les récepteurs β2-adrénergiques inhibent tout particulièrement « la réponse de certaines cellules immunitaires, les cellules Natural Killer (NK). Les récepteurs β2-adrénergiques stimulés par les hormones du stress empêchent ces Natural Killer de produire un type de cytokine particulier requis pour permettre l'élimination des virus ». Sophie Ugolini,Directrice de recherche Inserm explique « Nous avons confirmé expérimentalement que les hormones du stress qui se lient aux récepteurs β2-adrénergiques réduisent la réponse immunitaire et que cela passe par une diminution de la production de certaines cytokines inflammatoires, requises pour l'élimination des virus ». Ces résultats participent à ouvrir des perspectives thérapeutiques. « En ciblant le récepteur β2-adrénergique, il serait en effet envisageable, dans certains contextes pathologiques, de lever les freins immunitaires provoqués par un état de stress »4. Les études, toujours plus nombreuses, montrent combien stress, émotions et autres évènements peuvent conduire à des réactions de défense immunitaire exacerbées qui pourraient augmenter le risque de problèmes cardiovasculaire5, obésité, diabète, maladies de peau6, troubles du système digestif7, cancer8 etc.
Les recherches en PMI ouvrent donc des perspectives sur ce qu’il est favorable de mettre en oeuvre au quotidien pour encadrer, évaluer et répondre à des situations stressantes de telle sorte qu'elles génèrent des réactions immunitaires minimales voire bénéfiques et, dans un avenir que nous espérons pas trop lointain, d’agir sur les récepteurs β2-adrénergiques afin de ne pas bloquer le travaille des cytokines indispensables pour lutter contre la maladie. L’hypnose, la PNL, la travail sur les croyances, auto-suggestions positives, affirmations verbales de guérison, visualisations, techniques de gestion du stress, font parties des techniques qui stimulent et influencent directement le système immunitaire capable d’acquérir de nouvelles réponses et donc de mieux faire face à la maladie. Sandra Lévy, psychiatre américain spécialiste du cancer, a passé en revue des centaines de travaux de recherche, elle évoquait déjà en 1984 que "Les pourcentages de survie les plus faibles correspondent à des états de dépression ou d'impuissance, tandis que les pourcentages les plus élevés correspondent à la volonté de réagir."9
Une discipline pas si récente
Ce sont les travaux de G.F. Solomon de l’Université de Californie à Los Angeles révélés dans son article « Emotions, immunity and disease : a speculative theoretical integration»10 qui mettent en lumière ce qu’il appelle en 1964 la « psychoimmunologie ». En 1975 les recherches du psychologue R. Ader et de l’immunologiste N. Cohen de l’Université de Rochester font émerger le terme « psychoneuroimmunologie ». Mais tout ne se passe pas de l’autre côté de l’Atlantique ! La découverte des neuro-hormones du cerveau par le Pr R.Guillemin, prix Nobel de médecine en 1977 ouvre de nouveaux champs de recherche, la connexion corps-esprit est établie. Les études menées par D.L. Felten en 1981 à l’Indiana University School of Medicine sont cruciales pour la PNI. Elles sont détaillées dans l’ouvrage collectif intituléPsychoneuroimmunology de Ader, Cohen et Felten en 1981. Cet ouvrage expose le rôle des structures neuronales et des signaux des neurotransmetteurs dans la communication avec le système immunitaire, les connexions neuronales étendues avec les organes du système immunitaire, la dynamique de l'innervation sympathique noradrénergique de la rate et du thymus et la preuve de la signalisation immunitaire du Système Nerveux Central. Le rôle des hormones dans la modulation des fonctions immunitaires, la communication bidirectionnelle entre les systèmes neuroendocrinien et immunitaire et ses implications physiologiques potentielles sont également détaillés. La troisième partie de l’ouvrage traite des influences comportementales sur la réponse immunitaire ainsi que des effets du conditionnement, du stress et des interactions sociales dans la modulation des réponses immunitaires. On peut encore remonter le temps et rendre hommage au médecin et philosophe grec du IIème siècle Galien qui avait saisi l’importance de l’état psychologique du patient dans sa guérison11. Aristote à l’Antiquité ne défendait-il pas que psyché et corps agissent comme une seule entité ? L’un et l’autre interagissant en continu ?
Une nouvelle vision thérapeutique
Le laboratoire Mind & Body du Standford Medical School étudie la façon dont les états d'esprit subjectifs telles que les pensées, croyances et attentes peuvent modifier la réalité objective par le biais de mécanismes comportementaux, psychologiques et physiologiques. Le laboratoire, très actif, avec son approche interdisciplinaire, rassemble des courants de recherche connexes et conçoit des interventions qui peuvent changer positivement la santé, la performance et le bien-être12. Le Dr Kenneth Pelletier, cardiologue, participe au programme Mind & Body. Il propose des activités adaptées aux affinités de ses patients. Si le patient aime la musique on peut lui proposer une méditation par le son, si elle aime bouger du taï-chi, si elle aime la nature des marches quotidiennes dans le silence, etc. L’impact de la pratique de ces activités sur l’état de santé des patients est étudiée.
La PNI sourse d’inspiration pour la psychosomatique
Le Pr Jean Benjamin Stora, psychologue, psychanalyste et psychosomaticien est Président de la Société Psychosomatique Intégrative et membre fondateur de d’Institut de Psychosomatique Intégrative. Il nous confie lors d’un récent échange son immense intérêt pour la PNI. Les théories psychanalytiques classiques et la médecine allopathique étant « incapables d’établir des relations entre l’esprit des patients et les maladies de leur corps », il se tourne dans les années 80/90 vers de nouvelles approches telle que la psycho-neuro-immunologie. « Nous sommes tous les jours confrontés à des excitations plus ou moins importantes. L’esprit ou système psychique est, aux côtés du système immunitaire, un deuxième système de défense. Face à ces excitations, l’esprit dans son fonctionnement permet progressivement de les faire disparaître afin qu’elles ne perturbent pas notre vie. Il s’agit en quelque sorte du stress quotidien et de son intensité. L’esprit, tout comme le système immunitaire, peut avoir d’importantes perturbations dans son fonctionnement, ce qui le rend incapable de traiter les excitations. Celles-ci sont alors transmises au système nerveux central qui a pour tâche, à son niveau, de les gérer. Les excitations empruntent différents circuits neuronaux activant, par exemple, le système nerveux autonome, mais aussi le système immunitaire ainsi que d’autres systèmes somatiques...Lorsque les excitations persistent (par exemple événements traumatiques, deuils, etc.), l’homéostasie des organes et des fonctions est perturbée et les troubles somatiques apparaissent ».
En savoir plus :
J.B Stora « Quand le corps prend la relève », éd. Odile Jacob, 1999
J.B Stora « L’être humain est une unité psychosomatique », éd. Librinova, 2021
F.Bottacioli « Psychoneuro endocrino immunologie », éd. Marco Pietteur, 2012
1https://www.meditation-transcendantale-paris.info/dossier-aha/ https://www.sorbonne-universite.fr/actualites/la-meditation-lhopital
2C.Jacque et J.M Thurin, « Stress, Immunité et Physiologie du Système nerveux », Médecine Sciences, 2002. https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2002/09/medsci20021811p1160/medsci20021811p1160.html
3https://www.sciencedirect.com/topics/neuroscience/psychoneuroimmunology
4 E. Wieduwild, M.J Girard Madoux, L.Quatrini et coll. « β2-adrenergic signals downregulate the innate immune response and reduce host resistance to viral infection », Journal of Experimental Medicine, 2020 https://presse.inserm.fr/quand-le-stress-affaiblit-les-defenses-immunitaires/38527/
5R.CM Ho, L.F Neo, A.NC Chua and col. « Research on Psychoneuroimmunology: Does Stress Influence Immunity and Cause Coronary Artery Disease? », Annals Academy of Medecine Singapore, 2010 https://annals.edu.sg/pdf/39VolNo3Mar2010/V39N3p191.pdf
6F.Tausk, I.Elenkov, J.Moynihan, « Psychoneuroimmunology », Dermatology and Therapy, 2008. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18318882/
7A.Labansky, J.Langhorst, A.Engler and col., « Stress and the brain-gut axis in functional and chronic-inflammatory gastrointestinal diseases: A transdisciplinary challenge », Psychoneuroendocrinology, 2020. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31715444/
8P.G. McDonald, M.O’Connell, S.K Lutgendorf, « Psychoneuroimmunology and cancer: A decade of discovery, paradigm shifts, and methodological innovations », Brain, Behavior and Immunity, 2013 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3907949/
9 S.M. Levy, « Emotions and the progression of cancer », Advances, 1984. https://psycnet.apa.org/record/1987-34922-001
10https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/article-abstract/488681
11 J.Devinant, « Les Troubles psychiques selon Galien. Étude d’un système de pensée », Les Belles-Lettres, Collection Études anciennes, Paris, 2020
12https://mbl.stanford.edu
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