L’approche Snoezelen est un dispositif qui privilégie le « prendre soin », il s’articule autour de propositions de stimulations et d’explorations sensorielles dans un lieu sécurisant et accueillant. Imaginé pour les personnes souffrant de handicap, il trouve désormais sa place auprès d’un public beaucoup plus large.
Une histoire innovante
Deux jeunes hollandais, Jan Hulsegge, musicothérapeute et Ad Verheul, ergothérapeute, sont à l’initiative dans les années 70 d’une approche orientée vers la perception sensorielle qui sera développée sous le nom de Snoezelen. Ce néologisme d'origine hollandaise, est une contraction du verbe « snuffelen » que l’on peut traduire par : renifler, flairer, fureter, fouiner qui introduit la dimension du contact de la personne avec son environnement et du verbe « doezelen » qui signifie somnoler, se relaxer. Snoezelen exprime à la fois les notions de stimulation sensorielle et de relaxation corporelle.
Face à l’inexistence affligeante d’activités occupationnelles adaptées aux personnes atteintes de sévères handicaps intellectuels, J.Hulsegge et A.Verheul développent du matériel et des concepts pour les stimuler et les inciter à bouger (mobiles, objets musicaux, massages et couvertures colorées, éléments de la nature, etc.). Au sein du Centre De Hartenberg à Ede dans lequel ils travaillent, ils s’intéressent de près aux travaux des psychologues américainsCleland et Clark 1qui avaient étudié une « cafétaria sensorielle » créée aux Etats-Unis en 1966 pour stimuler les sens de personnes atteintes de handicap mental.2Leur travail traite de la possibilité de développer, promouvoir et inciter la communication ainsi que des changements de comportement en offrant des stimulations sensorielles à des personnes ayant un retard de développement, hyperactives, handicapées mentales et autistes. Hulsegge et Verheul accueillent leurs premières personnes souffrant d’un lourd handicap sous un chapiteau où estinstallé le matériel de stimulation sensorielle. Le dispositif propose un lieu où confort, détente, apaisement et relaxation sont recherchés. L’idée était de donner aux participants la possibilité de vivre des expériences et de se détendre, en leur laissant le choix de leurs activités ou tout simplement d’être présent passivement dans un espace où lumières, musiques, odeurs et différents objets créent une atmosphère stimulant les cinq sens. Dans le même temps d’autres Institutions testent des dispositifs comparables. Leurs réflexions communes aboutissent au premier projet type Snoezelen dans le service relaxation du Centre Haarendael en 1974. Le terme Snoezelen est adopté lors d’une conférence en 1979. Le dispositif gagne dans un premier temps les pays anglo-saxons à deux pas de la Hollande puis la France et l’International au milieu des années 80.
Immersion en terre Snoezelen
«Il y a beaucoup de descriptions possibles du contenu exacte du Snoezelen, mais les mots et les images ne sont qu’un reflet inexact de l’évènement, car c’est avant tout une expérience personnelle, un vécu intérieur » Verheul et Hulsegge, 1987.3
D’un point de vue purement matériel, une salle aménagée en plusieurs espaces distincts ou un espace structuré en plusieurs salles est aménagé de manière à stimuler les cinq sens (ouïe, odorat, vue, toucher et goût). Chaque espace s’adapte au lieu d’installation et au type deprojet institutionnel ou privé. L’idéalest de disposer de trois espaces distincts mais adjacents, à l’écart des perturbations extérieures. Le blanc habille les salles de détente, le noir celles des stimulations visuelles, les couleurs plus vives sont réservées aux salles stimulantes. Sols, murs et plafonds sont recouverts de différentes matières telles que tissus, moquettes, drapés, etc. afin d’encourager les explorations tactiles et visuelles. Des aménagements de types matelas à eau et/ou à air, colonnes à bulles, mur de fils, matelas en mousse, coussins vibrants, panneaux tactiles composés de textures diverses (douces, dures, rugueuses, lisses, molles, piquantes, etc.), fibres optiques lumineuses, projecteurs de lumière, de paysages (ombre, lumière et obscurité), jeux de miroirs, musique et instruments sonores (rythme, tempo, relaxation)diffuseurs d’arômes, huiles essentielles, boîtes à odeurs, aliments à goûter (salés, sucrés, amers, acidulés, épicés, etc.) sont disposés dans ces différentes salles.
La sensorialité comme médiatrice de la relation à l’autre et au monde
Le matériel et les mises en situation sont très importants pour rendre l’espace accueillant, chaleureux, doux et propice aux expériences sensorielles et corporelles. Cet espace de détente, bien-être, convivialité, respect mutuel et d’écoute doit aussi et surtout favoriser la relation à l’autre. Les séances se déroulent en présence d’un accompagnant formé dont la présence entretient un sentiment de sécurité physique et psychique. Aucun objectif précis n’est défini, seule une intention est posée : utiliser la sensorialité pour entrer en relation...L’attention est portée sur la manière dont la personne réagit, sur ses envies, ses besoins et ce que font émerger les expériences sensorielles. Les différentes stimulations sont fournies au hasard, indépendamment de la concentration et du niveau intellectuel des patients, afin qu'ils puissent librement expérimenter les sources de stimulations sensorielles proposées.
Christelle Martegoutes, formatrice à l’approche Snoezelen depuis six ans nous précise que si « Snoezelen est souvent utilisé à des fins récréatives et de loisirs, cette approche est bien plus que cela. Les objectifs sont de se sensibiliser à l’éveil corporel comme source de revalorisation et de plaisir, de développer une pratique de communication, d’animation et de soin et d’accompagner par la détente, l’exploration et la découverte. Le dispositif et les qualités des accompagnateurs.rices permettent une stimulation sensorielle adaptée, le respect de la personne et de ses rythmes, la bienveillance, le relâchement et la réduction des tensions, une sensation de mieux être. Seules les intentions de séances comptent : entrer en connexion avec, favoriser la relation d’apaisement, l’échange participatif, revaloriser, diminuer l’anxiété et/ou la passivité et/ou l’agitation, potentialiser les capacités motrices et cognitives et recueillir des informations ».
L’investissement dans un dispositif Snoezelen est onéreux, sans projet et/ou professionnels formés et disponibles, les salles sont sous exploitées voire mises de côté4. J’ai pu le vérifier à plusieurs reprises dans ma quête de témoignages de professionnels dans les établissements équipés...De nombreux Ehpads m’ont fait part de la non utilisation de ces espaces faute de personnels !
Déroulement d’une séance
La séance se déroule en plusieurs étapes, « l'acclimatation » ou préparation à l'entrée dans la salle, « l’invitation et l’animation » qui est un accompagnement individuel, non directif qui laisse la personne profiter de l’environnement. Dans un troisième temps, l’accompagnateur prévient la personne de la « fin de la séance » et du retour en douceur à la réalité. La phase de « réappropriation et d'évaluation » concerne l’analyse et la prise de notes sur une grille d’évaluation afin de suivre les évolutions d’une séance à l’autre. La dernière étape est celle de la « désinfection du matériel ». La séance dure entre 20 et 45 min selon la personne accueillie.
À qui s’adresse le Snoezelen ?
Pensé à l’origine pour l’accompagnement des personnes handicapées, après sa reconnaissance en France en 1992 par le corps médical, les champs d’application se sont multipliés : gérontologie, psychiatrie, petite enfance, rééducation et milieu des entreprises (axé sur la gestion du stress). Ces dernières années ont vu le jour dans les grandes villes de France des lieux où thérapeutes, parents, aidants et toute personne intéressée par cette approche peuvent louer à l’heure des salles Snoezelen et être accompagnés par un professionnel. Certains particuliers s’offrent l’aménagement d’espaces à domicile...
Quels sont les bienfaits documentés par la Science ?
Chez les personnes âgées atteintes de troubles du comportement ou de la maladie d’Alzheimer, ont été observés une baisse des comportements agressifs, des douleurs et de l’apathie, de la pression artérielle et du rythme cardiaque juste après les séances Snoezelen. Une augmentation significative de l’estime de soi, jusqu’à une semaine après la fin des séances a été relevée5. Une réduction des troubles du comportement (agitation, agressivité verbale et/ou physique et anxiété de personnes âgées avec des troubles cognitifs aigus) a également été mis en évidence. La stimulation sensorielle réalisée avant la toilette diminue les troubles du comportement des personnes âgées démentes durant le soin et cet effet persiste au cours de la journée6. Snoezelen permet par les sensations et les émotions d’établir un lien lorsque la personne âgée n’a plus accès à la communication verbale. Dans son mémoire d’Etude sur l’approche Snoezelen dans la prise en charge psychomotrice des des personnes âgées atteintes d’Alzheimer, Chloe Quentin explique que « Cet espace a favorisé l’échange, la relation, la sensorialité et le bien-être »[…]« L’approche psychocorporelle par l’axe sensoriel permet une réappropriation du corps par la découverte d’expériences nouvelles. Ce vécu corporel peut réveiller la mémoire sensorielle et émotionnelle ravivant des souvenirs passés, recentrant la personne au cœur de son histoire »7.
En crèche, Snoezelen aide à développer la sensorialité des tout-petits, à améliorer la gestion de leurs émotions et leur développement cognitif en stimulant l’ensemble de leur sens de manière ludique, sécurisante et apaisante. Ce cadre leur apporte de l’apaisement et permet de désamorcer les tensions. Ce sont des temps de découverte progressive et qualitative, nécessaire au développement psychomoteur de l’enfant et des moments de relations privilégiées entre l’enfant et l’accompagnateur.
L’utilisation des espaces Snoezelen dans la prise en charge des personnes autistes semble donner des résultats encourageants. Une diminution du stress a été constatée avec une meilleure appréhension de l’environnement, une communication facilité, une aide dans la connaissance des limites corporelles et dans l’exercice de la motricité fine. Les espaces sont adaptés pour développer des compétences telles que la persistance de l’objet et les relations de cause à effet. Si les résultats des études menées par les Psychologues et Chercheurs P. Martin et J.L Adrien avec des adultes autistes ne sont pas statistiquement significatifs, ils observent qu’ils sont « à certains moments, plus disponibles et plus ouverts pour fournir un travail d’éveil sensoriel. Le matériel dont dispose l’environnement Snoezelen semble être suffisamment efficace pour amorcer et renforcer l’attention des personnes qui présentent des troubles autistiques, au retard mental associé »8. Une étude publiée en 2017 sur l’accompagnement des adultes avec troubles du spectre autistique et déficience intellectuelle profonde conclut que les personnes suivies « montrent un meilleur investissement des activités proposées, une augmentation des autonomies et une diminution des autostimulations au sein de la salle Snoezelen »9. En 2021, une étude présente les environnements multi-sensoriels bénéfiques pour le comportement, l’attention et l’humeur des enfants autistes.10
Un article paru dans la Revue francophone de la déficience intellectuelle en 2015 fait un état des lieux des études réalisées à travers le monde sur les effets positifs des environnements Snoezelen auprès des personnes dépendantes en institution. Si certaines études pêchent sur les aspects méthodologiques et/ou avec des résultats statistiquement non significatifs, les auteurs relèvent « qu’une régulation émotionnelle est constatée. Et, il semble qu’une relation entre les stimulations sensorielles et la réduction de troubles du comportement soit établie. Dans tous les cas, Snoezelen semble favoriser la relaxation, la détente, l’apaisement psychique, tout en procurant aux individus un état de bien-être. »11
La Professeure Patricia Shofield a mené plusieurs études plus étonnantes sur les effets de Snoezelen sur la douleur chronique. En 2002, ses résultats suggèrent que les environnements Snoezelen sont aussi efficaces, sinon légèrement meilleurs, que l'enseignement de la relaxation dans l'environnement traditionnel de la clinique de la douleur pour ce groupe de patients.12
Accompagner ne s’improvise pas
La formatrice Christelle Martegoutes précise : « La formation des accompagnateurs.rices est déterminante et doit s’inscrire dans un projet d’établissement. L’accompagnateur.rice doit être motivé, avoir envie de s’impliquer, prendre le temps, être disponible, patient, détendu, attentif au cadre, à l’écoute, moduler sa voix et son comportement ( rester dans le champ visuel, avoir une attitude d’écoute, verbaliser ou non…), proposer sans être dans l’action, garder le contact visuel et/ou tactile, faire preuve d’imagination et de création et garder sa juste place. Son positionnement est déterminant pour le bon déroulé des séances. Les cinq sens sont des modes d’accès au Monde, ils permettent de capter des informations, sont des outils de mémorisation et de communication et sont générateurs d’émotions indispensables à une vie sociale et affective et aux mécanismes cognitifs (perception, apprentissage, mémoire,etc.)».
Sur le terrain, qu’en pense-t-on ?
Benedicte Casenove, AMP (aide médico-psychologique) dans une Service d’enfants polyhandicapés au Centre Infantile de Romagnat (63), nous livre quelques impressions de son expérience Snoezelen vécue depuis huit ans. «Nous utilisons principalement ces salles pour les enfants dont les handicaps sont tels qu’ils n’ont pas la possibilité de faire d’autres activités. Ce sont des moments uniques, des temps dédiés pour eux. J’accompagne chaque enfant une fois par semaine sur des périodes plus ou moins longues selon son ressenti. Nous voyons de réelles améliorations, les enfants se sentent bien dans ces temps dédiés, ce qui nous encourage à continuer. Je pense sincèrement que Snoezelen est très adapté aux enfants que nous accueillons. La Direction a fait le choix d’investir dans une nouvelle salle plus grande dont davantage d’enfants pourrons bientôt bénéficier. »
Encadré : Snoezelen à l’Hôpital
L’hôpital Dopuytren en région parisienne dispose d’espaces Snoezelen dans l’Unité UCC-UHR qui accueille des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et maladies apparentées.Snoezelen complète l’éventail des propositions thérapeutiques qui sont bénéfiques aux pathologies démentielles se manifestant par la perte de repères, la déformation des perceptions, le repli sur soi, des difficultés à communiquer, de l’agressivité, de l’agitation, de l’angoisse, des déambulations et des troubles du contrôle émotionnel. Les professionnels qui accompagnent ces patients observent une diminution des angoisses et des troubles du comportement et une meilleure détente corporelle et relaxation. Elle offre ainsi au patient un autre mode de communication et lui permet d’entrer en relation avec l’autre et son environnement.13
1 C.G Cleland, C.Clark, « Sensory deprivation and aberrant behaviour among idiots ». American Journal of Mental Deficiency, 1966.
3 J.Hulsegge, A.Verheul « Snoezelen: Another World : a Practical Book of Sensory Experience Environments for the Mentally Handicapped »,éd. Rompa, 1987
5 N. Bailly, S.Poinereau, « Effets Snoezelen sur les personnes démentes » : étude de 2011
6 V.Andreeva, V.Dartimet-Chalmey et col. « Snoezelen ou les effets de la stimulation multisensorielle sur les troubles du comportement chez les personnes âgées démentes à un stade avancé », NPG Neurologie-Psychiatrie-Gériatrie, 2010.
10K.L Unwin, G.Powell, C.R.G. Jones, « A sequential mixed-methods approach to exploring the experiences of practitioners who have worked in multi-sensory environments with autistic children », Research in DevelopmentDisabilities, 2021.
11P.Martin ; « État de la recherche clinique sur l’approche Snoezelen utilisée en milieu résidentiel spécialisé », Revue francophone de la déficience intellectuelle, 2015.
12P.Shofield, « Evaluating Snoezelen for relaxation within chronic pain management », British Journal of Nursing, 2002.
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